Entrevue avec Geneviève Collette, présidente du Comité Consultatif Femmes et directrice générale du CIME.
Rédaction : Maude M. Sévigny
Les 6 et 7 février 2019 se tenait le Rendez-vous national pour la mixité et l’emploi des femmes dans les secteurs d’avenir et de la construction, sous le thème Bâtissons l’avenir avec elles. L’objectif de ce rassemblement était d’adopter une vision commune et de prévoir des actions concrètes pour favoriser l’intégration et le maintien des femmes dans les métiers d’avenir et de la construction. Cet événement d’envergure dans la province était organisé par les 16 organismes spécialisés en développement de la main-d’œuvre féminine et membres du Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail (CIAFT).
Une grande partie de l’équipe du CIME était sur place, dont les conseillères à l’emploi et agentes de milieux, entre autres. Évidemment, la directrice générale du CIME, Geneviève Collette, était présente en tant que participante, mais aussi en tant que conférencière et animatrice d’un atelier sur les croyances limitatives. Geneviève a également participé à la table ronde sur les défis de la mixité et de la diversification des choix professionnels avec son chapeau de présidente du Comité consultatif femmes (CCF).
Panel sur les défis de la mixité et de la diversification des choix professionnels. De gauche à droite : Diane Lemieux, présidente-directrice générale de la Commission de la construction du Québec, Audrey Murray, présidente de la Commission des partenaires du marché du travail, Sophie Brière, professeure au département de management et titulaire de la Chaire de leadership en enseignement – Femmes et organisations, Université Laval et Geneviève Collette, présidente du Comité consultatif Femmes en développement de la main-d’oeuvre et directrice générale du CIME.
Petite entrevue sur ce que Geneviève a retenu du rendez-vous Bâtissons l’avenir avec elles :
CONSTATS : encore beaucoup d’OBSTACLES systémiques
Geneviève, quels sont les grands constats qui ressortent de ce rassemblement?
Tout d’abord, il est clair que les obstacles systémiques, obstacles récurrents à travers toutes les sphères de la société, vécus par les femmes souhaitant travailler dans des métiers non traditionnels sont encore bien présents. Malgré les efforts constants de sensibilisation, il y a encore beaucoup de croyances limitatives et de préjugés qui portent atteinte à la présence et à l’épanouissement des femmes dans ces milieux. Les croyances limitatives sont des perceptions, des croyances véhiculées et répétées par la société qui créent des limitations dans les actions (par exemple : les femmes sont moins manuelles que les hommes).
Autre triste constat : malgré l’adoption de la Loi sur l’ADS (analyse différenciée selon les sexes) [1] par les gouvernements fédéral et provincial en 1995, cet instrument de gouvernance incontournable est encore quasi absent 24 ans plus tard, en 2019! Alors que c’est la base!
Cela dit, on voit que les partenaires et les comités sectoriels sont prêts à accueillir les femmes et à ajuster leurs pratiques. En effet, de ce contexte de rareté de main-d’œuvre émergent les réelles volontés de la part de divers secteurs d’attirer et de retenir la main-d’œuvre féminine dans leurs rangs. Le bassin d’employés potentiels sur lequel les entreprises se sont toujours fiées ne suffit plus.
Heureusement, les organismes spécialisés en développement de la main-d’œuvre féminine (OSDMOF) peuvent offrir des services aux femmes, aux entreprises et aux instances décisionnelles pour soutenir la diversification des choix des femmes et leur intégration dans tous les secteurs.
Dans un autre ordre d’idée, lors de la deuxième journée du Rendez-vous, les ressources des organismes et comités ont pu partager leurs meilleures pratiques et leurs réalités régionales respectives. À l’instar d’une femme en métier non traditionnel, chaque organisation est seule à porter ce flambeau dans sa région. Un rendez-vous comme celui-là était une occasion en or de se concerter, d’échanger et d’adapter nos pratiques d’interventions.
En plus, c’est tellement mobilisant. Les intervenantes reviennent dans leur quotidien énergisées, motivées, encouragées et réconfortées. Tout comme une femme dans un domaine non traditionnel qui fait la connaissance d’autres femmes qui vivent la même réalité qu’elle!
Tu parles d’obstacles systémiques… Quelles sont les plus grandes barrières qui existent actuellement sur le marché du travail et qui freinent la présence accrue des femmes dans ces métiers?
Il y a les préjugés et les croyances limitatives qui proviennent des milieux de travail, mais aussi des milieux de formation, des femmes en tant que telles et de l’entourage, de la société en général. Ces préjugés sont beaucoup en lien avec la force physique et avec la difficulté à faire reconnaître les compétences des femmes.
Les milieux de travail se révèlent souvent hostiles et entraînent des comportements inadéquats, de l’isolement et du harcèlement physique et psychologique. La proportion de femmes est si faible, on parle par exemple de 17 % sur 100 000 personnes dans l’industrie automobile… partout au Québec. La masse critique visée est peut-être atteinte pour l’ensemble de l’industrie, mais pas régionalement ou localement, ce qui crée de l’isolement chez les femmes de ces milieux.
Sinon, il y a aussi les congés de maternité et de parentalité, qui sont encore perçus comme « problématiques » de la part d’employeurs, ce qui est inacceptable.
DES ACTIONS TANGIBLES : formation et emploi
Quelles solutions concrètes ont été identifiées et devront être appliquées pour améliorer la situation des femmes dans ces domaines d’emploi?
Dans un premier temps, il faut s’assurer de l’adéquation entre la formation et l’emploi : comment s’assurer que les femmes reçoivent la formation adéquate pour des postes semi-spécialisés? Les secteurs de la formation et les entreprises doivent se rapprocher et se concerter afin de permettre aux femmes d’acquérir des compétences tout en travaillant. On pense à plus de formations en milieu de travail, à des stages rémunérés, etc.
Ensuite, il y l’enjeu de la numératie, soit la capacité à utiliser des concepts mathématiques et critiques dans la vie de tous les jours. Tout comme la littératie (la capacité de lire et de comprendre l’information écrite), la numératie est essentielle à l’autonomie professionnelle des femmes. De là l’importance de la concertation entre le ministère de l’Emploi, celui de l’Éducation et les partenaires terrain, tels les comités consultatifs, les comités sectoriels et les OSDMOF. Gardons aussi en tête que « l’alphabétisation numérique » joue aussi un rôle de premier plan dans la présence et le maintien des femmes sur le marché de l’emploi.
Pour toutes les solutions qui seront apportées, les décisions doivent se prendre au niveau national pour qu’en région les organismes aient un poids de négociation. Ces solutions doivent demeurer adaptables pour les spécificités régionales, « régionalisables » si on peut dire!
Quels sont les engagements du CIME en la matière?
Le CIME poursuit ses implications sur diverses instances consultatives, ce qui permet d’influencer l’appareil politique, tant au provincial qu’au national. Notre organisme s’implique notamment dans le Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail (CIAFT), le Comité consultatif Femmes (CCF) et le regroupement des 16 organismes spécialisés dans le développement de la main-d’œuvre féminine.
Notre engagement régional passe par nos services : nous continuons d’offrir des ateliers* d’exploration et de manipulation pour en faire découvrir davantage aux femmes sur les métiers d’avenir et non traditionnels. Nous jouons aussi un rôle informatif auprès de la population en faisant la promotion des femmes dans les métiers non traditionnels.
Dans notre philosophie d’intervention systémique, nous effectuons de nombreuses études de contexte avec des entreprises et des comités sectoriels, des associations, etc. afin de mettre en place des changements organisationnels structurants et durables.
*[NDLR : le CIME a proposé un projet permettant de pousser encore plus loin ses activités d’exploration et de formation : ExplorAction. Ce projet est candidat au Fonds d’investissement citoyen, une initiative de Christine Labrie, députée de Sherbrooke. Les projets seront choisis à la suite de votes des citoyens et citoyennes de la circonscription de Sherbrooke, venez voter pour notre projet le 2 mars prochain!]
DES CONSEILS : Tolérance zéro
À la lumière de ton expérience et de ta participation active dans la sphère de la main-d’œuvre féminine au Québec, principalement en Estrie, je crois que tes conseils pourraient en aider plusieurs. Donc, toujours au sujet de la mixité et de l’emploi des femmes dans les secteurs d’avenir et de la construction…
Quels conseils donnerais-tu aux femmes en recherche d’emploi?
À toutes les femmes qui sont en recherche d’emploi et qui ne se sentent pas ‘’sur leur X’’ : EXPLOREZ! Sortez de votre zone de confort, allez voir ce que vous ne connaissez pas, vous pourriez être surprises! Posez des questions, informez-vous, manipulez, osez. Et envisagez les métiers non traditionnels. Des organismes comme le CIME seront à vos côtés pour vous guider et vous appuyer dans vos démarches.
Quels conseils donnerais-tu aux femmes déjà en poste dans ces métiers?
Ne PAS tolérer. S’il se passe quelque chose, nommez-le rapidement et agissez, ne vous taisez pas. Faites-le pour vous, mais aussi pour les femmes qui viendront travailler dans ces milieux dans le futur. Vous êtes des femmes archi compétentes qui avez fait vos preuves. Et j’irais même jusqu’à dire que si votre employeur vous entend, mais ne vous écoute pas et n’agit pas, il y a d’autres employeurs qui sont activement en recherche de main-d’œuvre et qui seront véritablement ouverts à adapter leur milieu. De plus, rappelez-vous que les lois et les normes existent et sont là pour être appliquées.
Il est essentiel de briser l’isolement. Sachez que même si vous n’êtes pas en recherche d’emploi, il y a des ressources en soutien au maintien en emploi, et elles sont gratuites! Je pense à notre service d’Aide au maintien en emploi ou aux études, qui propose même des rencontres tripartites avec votre employeur ou le personnel de formation.
Lors de ta conférence, tu as parlé de la nécessité pour les femmes de se positionner sans se dénaturer. Que veux-tu dire par là et comment peuvent agir les femmes qui souhaitent progresser dans une entreprise?
C’est une question de type de leadership. Quand une femme souhaite accéder à des fonctions non traditionnelles (secteur des technologies ou de la construction; poste hiérarchique, comme directrice d’usine, par exemple; etc.), il y a plusieurs stratégies d’adaptation qu’elle peut utiliser. Certaines sont proactives, d’autres sont réactives et défensives. J’ai déjà rencontré une femme dans une fonction non traditionnelle qui me disait : « J’ai l’impression qu’avec le temps, j’ai dû me coller au comportement de mes collègues, majoritairement masculins, et je me suis perdue là-dedans. J’ai dû commencer à sacrer, à parler plus fort, plus ‘’carré’’, je viens à l’encontre de qui je suis pour faire ma place. » Mais il est possible que cette personnalité-là ne vous convienne pas et vous heurte dans votre quotidien. Trop de femmes ne sont plus en harmonie avec elles-mêmes uniquement pour pouvoir faire leur place, faire leur chemin. Il est primordial de ne pas se dénaturer, de ne pas se perdre de vue pour des standards générés par une culture organisationnelle plutôt masculine. Demeurez vous-mêmes, avec vos forces et votre côté humain. C’est ce qui fait de vous qui vous êtes.
Quels conseils pour les collègues?
Les femmes ont besoin de votre appui. Le problème en est un de conformité… brisons ce cercle. Si vous être témoins d’une situation discriminante, dénoncez. Faites attention à la banalisation, du harcèlement, une insulte, un préjugé, ce n’est pas banal; c’est inacceptable. C’est votre devoir de soutenir vos collègues et surtout, de ne pas véhiculer les préjugées et de ne pas les tolérer non plus.
Aurais-tu 5 conseils-clés pour les employeurs?
Conseil 1 : Positionnez votre organisation et montrez l’exemple
Ne tolérez aucun commentaire véhiculant des préjugés, aucune blague déplacée. Et montrez l’exemple, vous êtes un.e leader, c’est à vous d’ouvrir la voie. Il est primordial pour vous d’adopter un positionnement clair et en ligne avec vos valeurs. Ce positionnement clarifiera les attentes envers les comportements inadéquats. Il faut aussi préparer vos équipes et présenter annuellement votre politique de prévention du harcèlement. Pensez aux nouveaux employés et nouvelles employées, mais pensez aussi à ceux et celles qui auraient besoin de cette politique maintenant et qui n’en avaient pas besoin avant…
Conseil 2 : Faites attention aux bonnes intentions
Même si la plupart des employeurs ont de bonnes intentions, il se peut qu’elles se traduisent de façon maladroite. Par exemple, certains employeurs veulent tellement intégrer et garder les femmes dans leur organisation qu’ils les surprotègent, ce qui brime leur capacité à démontrer qu’elles ont les mêmes compétences et les mêmes droits que les hommes. D’autres employeurs, pour leur part, considèrent tellement qu’il n’y a pas de différences entre les hommes et les femmes qu’ils n’adaptent pas du tout leur milieu de travail ou leurs façons de faire, ce qui n’est pas facilitant pour l’intégration des nouvelles employées. Il y a un juste équilibre à respecter.
Conseil 3 : Favorisez le travail d’équipe
Favoriser le travail d’équipe, c’est favoriser la mixité. Une équipe équilibrée, avec des hommes et des femmes, rendra la recherche de solutions plus efficace et apportera une plus grande diversité de points de vue. Il est important de comprendre les dynamiques de la mixité, notamment comment les préjugés peuvent freiner l’implication optimale des femmes dans certains groupes. Il est de votre devoir, comme employeur, de faciliter un véritable travail d’équipe.
Conseil 4 : Communiquez
Vous favorisez l’intégration des femmes dans votre organisation? Faites-le savoir! Parlez-en, soyez visibles et mettez cette force de l’avant. Rendez-vous dans des salons, organisez des visites d’usine, utilisez des photos de femmes dans vos promotions, féminisez vos titres d’emploi. Vous attirerez ainsi une main-d’œuvre féminine et des nouveaux talents.
Conseil 5 : Utilisez les ressources à votre disposition
En tant qu’employeurs, n’hésitez pas à faire appel aux nombreuses ressources disponibles pour vous soutenir! Le CIME offre tout un éventail de services adaptés à votre organisation. Vous pouvez aussi vous appuyer sur les Services aux entreprises d’Emploi-Québec. Décrochez le téléphone!
Lors de la table ronde, vous avez parlé de l’importance de saisir l’opportunité du plein emploi qui est vécu actuellement pour favoriser l’intégration des femmes dans ces métiers. Comment les employeurs peuvent-ils saisir cette opportunité?
Les employeurs doivent d’abord se questionner sur leurs propres pratiques : Pourquoi les femmes ne postulent que très peu chez vous? Est-ce que vos pratiques les excluent involontairement? Votre secteur est-il attrayant et attractif? Offrez-vous des mesures de conciliation famille-travail-études-proche aidance intéressantes? Vos processus de dotation ont-ils des biais discriminatoires intégrés et involontaires?
Il faut aussi savoir que globalement, les femmes sont en recherche de sens, elles veulent contribuer à l’amélioration du quotidien. Vous ne les attirerez pas seulement avec le salaire. Par exemple, nous avions fait un projet il y a quelques années pour encourager les femmes à venir suivre une formation en usinage. Nous avons axé notre promotion sur des produits et des utilisations qui nécessitent de l’usinage… c’est ce qui leur a donner le goût de venir essayer! Elles doivent comprendre leur rôle dans un emploi. Comme employeurs, vous devez vous adapter, vous ajuster.
Pour conclure, quelle demande ferais-tu aux instances gouvernementales?
Je leur demanderais tout d’abord d’appliquer réellement la Loi sur l’ADS et sur l’intersectionnalité! C’est tellement important.
Sinon, c’est sûr que les instances gagneraient à s’arrimer davantage avec les partenaires terrain et surtout à impliquer les organismes spécialisés et les comités en amont, au moment où naît l’idée de réviser des programmes.
Finalement, accorder un financement adéquat et récurrent aux organismes spécialisés en main-d’œuvre féminine leur permettrait de jouer efficacement leur double rôle d’intervention spécifique et systémique, et de sensibiliser les milieux dans une optique de prévention et d’inclusion.
Restez à l’affût du site web Bâtissons l’avenir avec elles et de notre page Facebook, du contenu et des capsules vidéo sur le sujet viendront sous peu!
[1]Selon le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, « [l]’analyse différenciée selon les sexes est un processus d’analyse favorisant l’atteinte de l’égalité entre les femmes et les hommes par l’entremise des orientations et des actions des instances décisionnelles de la société sur le plan local, régional et national. Elle a pour objet de discerner de façon préventive les effets distincts sur les femmes et sur les hommes que pourra avoir l’adoption d’un projet à l’intention des citoyennes et des citoyens. Elle peut mener à une offre de mesures différentes faites aux femmes et aux hommes. »
*Crédit photo : Paul Sauvé, Communidée Services Conseils ltée.